par Togechu » 30 Déc 2017 23:25
Terminer l'année 2017 avec un anime qui a eu 20 ans cette année, quel coïncidence rigolote.
Voici tout ce que j'aurai pu dire si Utena avait été un banal anime classique des années 1990, un anime qu'on regarde pour se divertir et qu'on va oublier peu de temps après.
Sauf que cela n'est pas le cas. Aussi incroyable que cela puisse paraître, malgré une animation vieillotte, bourrée de scène réutilisées encore et encore pour économiser le budget, cet anime m'a marqué. Par sa loufoquerie d'abord, par son style si particulier ensuite (tant graphique que musical), par ses messages forts enfin. J'avais lu qu'Utena était l'étonnant mélange entre Sailor Moon et Neon Genesis Evangelion : cette définition ne saurait être aussi vraie.
En effet, à première vue, nous sommes face à un anime surfant sur le genre maho shojo : une jeune lycéenne répète à chaque épisode le même rituel d'affronter un ennemi avec des scènes de (légère) transformation et de coup final identique d'un épisode à un autre. Ce faisant, elle vient en aide à ses amis dans le besoin en se montrant plus forte que les autres.
Mais comme dans Evangelion, chaque situation est en réalité prétexte à explorer le côté torturé des personnages, ce destin absolu, cette apocalypse qu'on nomme l'adolescence et le passage à l'âge adulte. Pas comme le font la plupart des animes actuels destinés à la jeunesse (qui traitent beaucoup de l'amitié, de la solitude, du harcèlement). Non, en allant encore plus loin que cela.
Vous qui regardez cet anime, oubliez ce que vous savez sur l'animation japonaise : vous entrez sur le terrain de jeu des Grimm ou de Perrault, vous entrez dans le monde fabuleux et implacable des contes de fée ! Vous entrez dans cette aire étrange où tout nous paraît à première vue normal, mais où des éléments n'auront de cesse de nous rappeler que nous ne sommes pas face à des situations réelles mais dans le royaume de la métaphore. Une impression renforcée par ces troublants éléments d'arrière-plan qui n'ont rien à faire là (une volée de ballons, un match de baseball, un train qui passe, une partie de badminton), par ces scènes répétées comme un rituel se répétant sans cesse, ces duels qui se règlent plus par la force des mots que par celle de l'épée.
Lu uniquement au sens propre, il faut reconnaître que l'anime serait juste bizarre, voire décevant. Un peu comme Evangelion d'ailleurs, il ne se comprend réellement que quand on accepte toute la portée métaphorique de son propos : il n'est plus alors question de duel en haut d'un escalier ou d'un ascenseur, pas plus qu'il n'était question de "robots géants" contre des extraterrestres dans Evangelion. Il n'est question que de l'être humain, de ses rapports avec les autres et de sa façon de s'accepter lui-même, avec ses défauts et ses contradictions.
D'ailleurs, certains personnages, comme la trop placide Anthy ou la colérique Nanami (qui m'a beaucoup rappelé au départ Lavinia de Princesse Sarah) ne peuvent être compris que comme cela : trop exagérés pour être réels, que représentent-ils en fait ?
Et surtout, c'est un anime qui ose aller très loin pour du 1997 ! Qui traite, sous le couvert de métaphores qu'un enfant ne saisirait pas encore mais qu'un adulte comprendra, de toutes sortes de troubles que traverse l'adolescent. Qui ose parler de sexe, d'homosexualité, des règles, d'inceste. Qui nous questionne sans cesse sur le sens à donner à ce que l'on voit : que signifie ce chronomètre que Miki n'arrive jamais à arrêter sur un compte rond ? Y'a-t-il un autre sens à voir lorsque les adversaires se font "déflorer" ? De quoi parlent ces filles faites d'ombres dont les propos décalés semblent pourtant faire écho aux péripéties de l'héroïne et de ses camarades ? Quelle est cette voiture qui fonce à pleine vitesse sans chauffeur pour la conduire sur une route sans fin ? Que faut-il comprendre quand une Utena couchée, les épaules nues, énumère les ingrédients d'un sandwich (le saumon, l'asperge et les œufs... et hop, la mayonnaise) ?
Si cela n'était pas encore clair, j'ai adoré Utena ! C'est un œuvre formidablement tendancieuse qui, effectivement, gagnerait à être plus connue. Une œuvre qui ne donne pas si facilement la clé qui permet de la comprendre, qui peut lue au premier degré se montrer énervante, mais qui pour peu qu'on veuille allez plus loin pour la comprendre délivre des messages forts à tout ceux qui se perdent encore dans la définition du mot "adulte". Utena, c'est le petit monde clôt de cette académie Ohtori. Ce monde de contes de fée où tout peut arriver tant qu'il y aura des gens pour en rester prisonnier. Ce monde de l'adolescence où l'on ne veut pas grandir.
Pourtant le message d'Utena (pour moi) est celui-là : ne restez pas prisonnier de cet univers d'illusions, de l'apocalypse de cette destinée absolue, émancipez-vous !
Je crois que j'en ai oublié, mais...
MAL